L'abolition de l'esclavage fut une lueur d'espoir pour les noirs américains, mais les conditions de leur émancipation ne furent pas celles qu'ils avaient espérées. En effet, leur vie est orientée à partir des années 50 sur le principe d'une supposée égalité : Ils sont égaux mais séparés. Les blancs trouvaient toujours un moyen pour leur enlever leurs droits civiques. Ce système entraîna une déprime collective chez les noirs qui se réunissaient le soir pour parler, échanger leurs idées, chanter, jouer de la guitare et du violon.
« When I’m born I’m Black, when I grow up I’m Black, when I’m in the cold I’m Black, when I’m in the sun I’m Black, when I’m sick I’m Black, when I die I’m Black. And you... When you’re born you’re Pink, when you grow up you’re White, when you’re in the cold you’re Blue, when you’re in the sun Red, when you’re sick you’re Green, when you die you’re Purple. And you dare to call ME a colored...»
Traduction : « Quand je suis né j’étais Noir, quand j’ai grandi j’étais Noir , quand je suis dans le froid je suis Noir, quand je suis au soleil je suis Noir, quand je suis malade je suis Noir, quand je serai mort je serai Noir. Et vous....quand vous naissez vous êtes rose, quand vous grandissez vous êtes blanc, quand vous êtes malade vous êtes vert, quand vous serez mort vous serez violet. Et vous , vous osez m’appeler MOI un homme de couleur... »
Dans les états ségrégationnistes, les noirs ont du se battre pour défendre leurs droits. Un mouvement de protestation est alors né... Dans ce mouvement noir aux États-Unis, il n'y a pas seulement quelques leaders, il s'agit d'un mouvement de masse qui a submergé tous les États-Unis, a menacé le pouvoir capitaliste. Ce qui a bien failli faire du principal pays capitaliste, le pays le plus instable socialement. Mais ce mouvement a été porteur pendant une période d’une valeur révolutionnaire. Les noirs américains ont donc été soudés dans le même combat, le blues leur rappelant leurs origines et les soutenant dans cette lutte.
Alan Merriam, un ethno-musicologue américain, résumait la polyvalence et la polyfonctionnalité de la musique : « Rare sont les éléments culturels qui, autant que la musique, se prêtent à l'expression des émotions, au divertissement, à la communication. […] La musique est d'une certaine manière une activité ouverte à l'expression globale des valeurs. […] En transmettant l'éducation, prévenant les excès des membres égarés de la société, en soulignant ce qui est juste, elle contribue à la stabilité culturelle. »
Le blues a été pour la communauté noire un puissant agent de cohésion sociale, il a joué un rôle de transmission culturelle qui a permit de créer et d'entretenir le respect des normes sociales que le groupe s'est données. Il permettait de promouvoir un indispensable sentiment de groupe et de solidarité. Ainsi, on parle de l'« ambiance cérémonielle » ou rituelle qui régnait dans les endroits où l'on jouait du blues, et en particulier dans les clubs des ghettos noirs. Erving Goffman, sociologue, disait que : « Dans la mesure où un spectacle met en lumière les valeurs officielles communes de la société où il a lieu, nous pouvons y voir une cérémonie. »
Par ailleurs, les noirs américains ont une histoire commune qui les rassemble autour du blues; Ils se sentent faire parti d'un groupe. Même éloignés des leurs, ils craignent moins l'isolement s'ils ont le moyen, par le biais de la musique, de créer à nouveau l'ambiance musicale dans laquelle ils ont grandis. Le blues, dans ses paroles, décrit et évoque des situations et expériences personnelles. Ces paroles transmettent, souvent sans que l'on ne s’aperçoive, les valeurs et les normes du groupe d'appartenance. Ainsi le blues contribue à la préservation et à la continuité de la culture afro-américaine, il cimente la solidarité entre les membres d'une même communauté. Par conséquent, les chanteurs de blues ont une fonction identique aux griots africains - En Afrique, les griots ont pour mission de préserver les valeurs et la solidarité communautaire en racontant des contes et des proverbes ou en chantant - C'est pourquoi nous pouvons qualifier les chanteurs de blues, à l'image des griots, comme artisan du ciment social, gardiens des traditions et de mémoire du peuple : ils contribuent à la tradition orale.
La musique, en général a un pouvoir affectif, Alan Lomax, un célèbre musicologue et collecteur de musiques américaines, disait que « L'effet principal de la musique est de donner à celui qui l'écoute un sentiment de sécurité car elle symbolise, séparément ou en même temps, les événements qui ont marqué sa personnalité, l'endroit où il est né, ses premières satisfactions d'enfant, sa vie religieuse, sa joie de partager les activités communautaires, ses relations amoureuses et son travail. »
Enfin, nous avons vu que cette musique faite pour les noirs, par les noirs leur permet d'exister face aux problèmes de société auxquels ils sont confrontés, et leur permet d'oublier leur quotidien. En effet, chacun raconte son histoire par ses chansons, mais tous peuvent se reconnaitre dedans.