1) Influence des blues men sur les jeunes blancs

    Après l'année 1929, les blues men noirs retournent dans leurs champs de coton. Les 20 années suivantes, le blues reste d’abord une musique chantée par des noirs et, pour les noirs. Le chanteur professionnel passe sa vie sur les routes, en autobus. Il se produit dans des cabarets, allant d’une ville à l’autre du Sud du pays. BB King, agé de 80 ans, raconte qu’à l’époque, s’il chantait bien, le patron du cabaret lui donnait deux cuisses de poulet. Si c’était moyen il n’en avait qu’une. Si c’était mauvais, il ne recevait rien du tout. A cette époque, Memphis était le cœur du pays du blues, et plus particulièrement "Beale Street", une rue emblématique, dont les bulldozers et les nouvelles constructions ont maintenant fait perdre la magie. Le chanteur de rock, Jim Dickinson, vivait enfant à Memphis. Il est de la même génération que Bob Dylan. Adolescent dans les années 1950, Dickinson s’est dit hypnotisé et envoûté par le blues. Mais en raison des barrières raciales, il explique qu’il n’y avait pas accès et qu’il n’a pu écouté que très peu de cette musique : « Beale Street était à Memphis un îlot noir au milieu d’un océan blanc », disait-il. Dans les années 50, de nombreux artistes noirs, de blues engagés contre la ségrégation refont leur apparition et remontent sur scène pour défendre leurs droits. Skippy, par exemple, revient sur scène 30 ans après sa disparition, soit en 1950, et donne a nouveau des concerts. Au fil des années, le blues est également fait par des blancs, pour des blancs. Il devient accessible a tous.

    En effet, le blues se popularise, particulièrement chez les jeunes blancs qui l' écoutent en raison du caractère novateur de cette musique : nouvelles musiques, rythmes qui attirent. Au cours des années soixante, et depuis, le public étudiant blanc est devenu la meilleure source de revenus des chanteurs de blues. On a, dès lors, assisté à un phénomène semblable à celui des années trente et quarante: la tentation de satisfaire par des chansons engagées et fortes. Des festivals tel que celui de Newport réunissaient de nombreux artistes noirs qui donnaient des concerts devant un public majoritairement composé de jeunes blancs. A Newport, en 1964, a lieu le concert de J.B Lenoir,il dit, ne jamais avoir vu de toute sa carrière un si grand et vaste public. De même, un jour des années 1960, BB King et son groupe arrivent à Memphis pour un concert. Devant l’immeuble où se trouve la salle, une file de jeunes blancs est allongée tout autour du bloc. BB King, surpris, demande au chauffeur de bus de repartir et de chercher la bonne salle pensant s’être trompé d’adresse. Le chauffeur repart, mais revient se garer devant le même immeuble. A son entrée en scène, tout le public blanc se lève et  applaudit BB King, il en pleure. Lui, qui toute sa vie n’avait chanté que devant un public noir se retrouve pour la première fois devant un salle remplie à 90 % de blancs. Le blues permettait au noirs de transmettre leur histoire, mais il traitait aussi de sujets plus généraux tels que la guerre du Vietnam ou les droits civiques. Ils informaient les blancs et leurs faisaient prendre conscience de leur situation à l'époque. Ils les incitaient à la révolte, à la contestation. De nombreux mouvements découlent des concerts de bluesmen, émanants des noirs et des blancs qui adhéraient à la lutte des noirs. Ainsi, en écoutant leurs musiques, ils intégraient leur mouvement et adhéraient à leurs idées. Ensembles ils étaient unis, noirs ou blancs, grâce au blues. Le blues des noirs a permis de faire prendre conscience aux blancs de leur situation, et de l'injustice de cette dernière. Ainsi les blancs ont commencé à soutenir les noirs et leurs causes. Des sit-in pacifiques on été organisés, au départ seuls les noirs y participaient, puis les blancs ont commencé à y assister. Par exemple, à la fin du mois de février de l'année 1960, des noirs sont attaqués par des racistes dans un magasin, avec la complicité de la police, 77 noirs sont arrêtés de même que 5 blancs qui étaient a leurs côtés. En 1961, au mois de mai, les marcheurs de la liberté ( Freedom riders), manifestants noirs et blancs, commencent à sillonner ensembles tout le sud pour imposer la déségrégation dans les bus et les lieux publics. Tous ne voulaient pas que la ségrégation perdure. Ainsi, lorsque durant les Jeux Olympiques de 1968, deux noirs sont arrivés 1er et 3ème, ils ont, sur le podium, levé leur point lors de l'hymne national américain, comme signe de soutien au mouvement politique black et de protestation contre la ségrégation. Ce geste fut interprété comme le début de la révolution noire : ils se sont levés pour leurs droits, ils ont défié la suprématie blanche.  Les deux atlhètes noirs furent exclus des J-O un peu après. Mais ceci ne fut pas sans conséquence. Lee Evans, Larry James et Ronald Freeman, des coureurs des J-O, blancs, montèrent sur le podium avec un béret noir vissé sur le crâne pour dénoncer également le racisme dans leur pays. Et lors de ces jeux de Mexico, les athlètes afro-américains, mais également une large majorité de leurs compatriotes blancs, portèrent sur leur veston un macaron portant l’inscription « Olympic project for human rights » (Projet olympique pour les droits humains). Tous ces évènements nous montrent que grâce au blues, les blancs ont finalement entendu et compris les noirs, et ont adhéré à leurs idées. Les producteurs blancs commencent également à s'intéresser au blues. Ils souhaitent produire les musiques des noirs. Nombre d'entre eux se sont engagés, défendants leurs idées, outre l'énorme enjeu commercial. Sam Phillips, un producteur blanc, aura joué un rôle de « passeur » sans doute décisif entre les cultures des communautés noires et blanches des Etats-Unis. En 1950, il ouvre à Memphis une maison de production dont la devise est : « nous enregistrons n’importe quoi, n’importe où, n’importe quand ». Dénué de préjugé racial, il aura la confiance des plus grands chanteurs noirs : Howlin’Wolf, BB King, Ike Turner, Rosco, Rufus Thomas, James Cotton. Il trouvera son rôle de « passeur inter-culturel » en cherchant à faire passer le style et le feeling des musiciens noirs vers des chanteurs blancs. Memphis, était la ville dans laquelle les maisons de disque enregistraient le plus de noirs, par l'intermédiaire des «talent scoot» qui consistaient au recrutement de nouveaux talents par annonce dans les villes . Cependant, aider les noirs était mal perçu, et Sam Phillips recevait de nombreuses menaces, notamment du Ku Klux Klan, afin de stopper cette entraide.

    De nombreux producteurs n'assumaient pas de présenter la musique de noirs, aussi préféraient ils enregistrer les musiques des noirs, interprétées par des blancs. Les blancs enregistraient plus de disques que les noirs car la population préférait les chanteurs blancs aux noirs. Prenons pour exemple: Bob Dylan, un bluesmen blanc mondialement reconnu. Pour ces producteurs, cela était préférable pour leur image car les blancs passaient mieux à la télévision. Alors, certains noirs avaient le visage peint en blanc lors de leurs passages à la télé, afin de «passer mieux» sinon ils ne faisaient pas bonne figure, c’est l'exemple de Nat King Col. Ceci explique le changement de visée du blues, et entraîne une certaine perte de couleur du blues.  Le blues était initialement un moyen d'expression privilégié, une manifestation de son intelligence, de son génie, reconnue dans le monde, une garantie de sa dignité, de son devenir social, un mouvement de reconnaissance des noirs. En conséquence , de nombreux artistes noirs engagés ont été censurés à cause du message qu'ils délivraient dans leur musique. Le fait que les blancs se l'approprient n'est pas correct, n'est pas légitime car ils ne font pas ressentir les mêmes choses à travers leur musique que les noirs. Le blues, très imagé, donnait une antithèse de la société de consommation qui fut la cause du désintéressement de la communauté noir pour cette musique. Les blancs vendaient plus que les noirs. En échange d'un morceau de musique, un noir gagnait entre 30 et 40 $, sinon on exploitait ses droits, alors qu'un chanteur blanc devenait riche avec un seul morceau de musique. Pourtant leur blues exprimait moins de sentiments, car ils n'avaient pas la même histoire que les noirs, la leur avait moins d'impact, le but n'étant pas le même. On peut donc dire que le blues est une musique inventée et jouée par les Noirs mais culturellement et économiquement colonisée par les blancs. Ces imitations par les blancs donnait donc lieu a des caricatures commerciales en opposition au vrai blues noir.

    Ainsi, la musique a fait fondre les barrières raciales et a permis une certaine unification du peuple ( qu'ils soient noirs ou blancs ). La musique est donc un facteur de l’émancipation des noirs aux États Unis. Le blues des blancs donnera par la suite naissance au Rock'n roll, avec des chanteurs s'inspirant du blues tel qu’Elvis Presley.

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